La lutte contre le réchauffement climatique est trop souvent réduite à la mise en place a posteriori d’une isolation thermique. Dans le contexte de la rénovation thermique, l’altération de l’architecture de qualité est considérée comme un dégât colatéral et, la dégradation des façades anciennes, comme une fatalité inévitable.
Cependant, la recherche scientifique, qui justifierait des mesures techniques aussi drastiques et irréversibles, est toujours en cours et n’a pas encore délivré ses conclusions sur les différents paramètres. Notamment l’implication de l’énergie grise représente actuellement un des piliers phares de la démarche écologique. Sans sa prise en compte, les propositions techniques pour une rénovation thermique s’avèrent inefficaces.
Dans cette incertitude, le législateur doit prendre position face aux intérêts économiques et commerciaux. Les réflexions suivantes tentent de résumer les conditions pour une gestion responsable de la transition énergétique des bâtiments anciens, et élucider ce paradoxe apparent : maintenir l’intégrité globale du bâtiment et lutter contre le réchauffement climatique.
L’impérative nécessité écologique
Le réchauffement climatique représente une menace pour notre planète et impacte lourdement sur la qualité de notre cadre de vie. Les scientifiques désignent l’activité humaine comme facteur principal de cette dégradation qui se manifeste principalement par une montée du niveau des eaux des océans et la dérégulation des cycles climatiques. Les principaux responsables sont les secteurs du transport, de l’industrie et du résidentiel-tertiaire.
Afin de ralentir ce réchauffement, les émissions des gaz à effet de serre (GES) doivent être significativement réduites. Pour faire face à cette exigence, il est convenu dans les différents sommets mondiaux du climat de diminuer les besoins énergétiques des sociétés globales. Sous l’influence de la conférence de Rio en 1992, mais surtout des Conférences des Partenaires (COP) annuelles, les nouvelles réglementations thermiques nationales imposent aux citoyens la modification de leur cadre de vie afin de réduire les besoins en énergie. Ainsi, il est nécessaire de réaliser les gestes d’efficacité énergétique les plus performants.
Pour ce qui concerne le secteur résidentiel-tertiaire, les émissions de GES doivent être réduites en adoptant trois mesures :
- La production d’énergie renouvelable
- L’amélioration de la performance des systèmes de chauffage et d’aération
- L’isolation thermique des bâtiments
Le comportement thermique des bâtiments
Les principales déperditions thermiques se font par le toit, le plancher bas et les défauts d’étanchéité à l’air. Moins exposées sont les parois verticales, à condition qu’elles offrent une inertie suffisante (murs épais) et qu’elles soient imperméables à l’air.
Si l’isolation des toitures et des combles se révèle indispensable, celle des sols l’est souvent. Au contraire, celle des murs est rarement utile. Pour ceux-ci, on a tendance à surévaluer les déperditions alors qu’elles ne représentent qu’une part peu importante sur l’ensemble de la construction. L’isolation des murs ne constitue donc pas une solution évidente. En tout état de cause, elle ne saurait être pratiquée qu’avec des traitements non perturbants pour leurs propriétés d’inertie et de perméabilité à la vapeur d’eau. Les murs et les ouvertures génèrent toutefois un effet de paroi froide important, défavorable au confort d’hiver, mais pouvant facilement être corrigé par des enduits adaptés (chanvre-chaux).
Dans le cas de fenêtres simples, à simple vitrage, les perditions énergétiques sont généralement importantes. Cependant, elles constituent généralement la principale source de ventilation du logement. Un taux de renouvellement d’air minimal doit toujours être conservé (éventuellement de façon mécanique), pour des raisons de qualité de l’air intérieur et de conservation du bâtiment. La masse des structures anciennes (murs et planchers) apporte une forte inertie au bâtiment. En été, elle permet de stocker puis de distribuer la fraîcheur nocturne avec un déphasage pouvant atteindre une douzaine d’heures au moment le plus chaud de la journée.
La difficulté de comptabiliser l’efficacité énergétique
Dans la quête de l’efficacité énergétique des bâtiments, la mesure de l’efficacité énergétique est indispensable pour la quantification de la réduction des émissions des GES. Le diagnostic de performance énergétique (DPE) joue un rôle prépondérant dans la conception et la codification de la transition énergétique. Il est basé sur une parfaite connaissance des matériaux et des techniques constructives des bâtiments et indique la quantité d’énergie effectivement consommée ou estimée pour une utilisation normale du logement d’une part, l’impact en termes d’émission de GES d’autre part.
Le DPE décrit le bâtiment ou le logement (surface, orientation, murs, fenêtres, matériaux, etc.), ainsi que ses équipements de chauffage, de production d’eau chaude sanitaire, de refroidissement et de ventilation. Il caractérise, suivant les cas, soit la quantité d’énergie effectivement consommée (sur la base de factures), soit la consommation d’énergie estimée pour une utilisation standardisée du bâtiment ou du logement.
Pour ce qui concerne les bâtiments anciens (sont considérées comme tels les constructions d’avant 1948), le DPE ne s’avère pas adapté. En effet, les méthodes de mesure, initialement établies pour les constructions neuves, ne s’appliquent pas aux constructions anciennes du fait de la connaissance incomplète par rapport aux composants de parois : le DPE est alors partiel et aléatoire à cause de l’infinie variété des cas rencontrés. La particularité des parois anciennes au regard des économies d’énergie est l’objet de plusieurs études :
- 2009 : « Envirobat – Bâtiment durable méditerranéen »
- 2010 : « ATHEBA » (Amélioration THErmique Bâti Ancien)
- 2011 : « BATAN » (BATi ANcien)
- 2015 : « Habitat Ancien en Alsace : Énergie, durabilité du bâti et patrimoine »
Pourtant, la mesure juste est la base pour légitimer le choix des travaux de rénovation énergétique à réaliser, sur les ouvertures selon l’exposition, sur les équipements et sur les abords du bâtiment. Cependant, dans tous les cas de figure, la non-comptabilisation de l’énergie grise fausse forcement le DPE. En effet, l’énergie grise est constituée, en terme de consommation énergétique et émissivité de GES, des facteurs suivants : l’extraction ou la production, la fabrication ou la transformation, le transport, la mise en œuvre, l’entretien et le recyclage. Ainsi, la quantité d’énergie consommée lors du cycle de vie d’un matériau issu de la rénovation thermique peut inverser ses avantages thermiques.
Le bâti ancien, et notamment les constructions antérieur au XXe siècle, a été construit avec des matériaux trouvés à proximité et peu transformés, donc économes en énergie grise. Les déperditions énergétiques sont complexes à évaluer en raison de l’hétérogénéité des matériaux, des liants et de la présence de vides d’air dans les parois, qui influencent sensiblement les échanges thermiques. Cependant, son bilan énergétique le situe, en général, à un assez bon niveau (C et D). Il peut par ailleurs améliorer encore ses performances.
La transition énergétique impérative des bâtiments anciens
La loi de la transition énergétique pour la croissance verte (TEPCV) du 17 août 2015 vise les bâtiments anciens non protégés au titre des monuments historiques. Épargnés auparavant des obligations thermiques les plus contraignantes, les édifices datant d’avant 1948 sont désormais pleinement intégrés dans les considérations techniques de la réglementation thermique des bâtiments existants (RTE).
Le décret d’application n° 2016-711 du 30 mai 2016 relatif aux travaux d’isolation en cas de travaux de ravalement de façade, de réfection de toiture ou d’aménagement de locaux en vue de les rendre habitables, définit le cadre d’intervention. Ainsi, lorsqu’un bâtiment fait l’objet de travaux de ravalement (réfection de l’enduit, remplacement ou mise en place d’un parement) d’au moins 50 % d’une façade hors ouvertures, ou de réfection de toiture d’au moins 50 % de l’ensemble de la couverture, le maître d’ouvrage est dans l’obligation des travaux d’isolation thermique conformes aux prescriptions définies dans la RTE.
La loi TEPCV prévoit de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40%, la consommation énergétique finale de 20% et la consommation énergétique primaire d’énergies fossiles de 30% d’ici 2030. Mais sans prise en compte de l’énergie grise intrinsèque aux matériaux de rénovation thermique, l’efficacité de ces seuils reste marginale.
La dérogation à la transition énergétique
Selon le décret d’application n° 2016-711 du 30 mai 2016, les cas suivants profitent d’une dérogation à la loi TEPCV :
- Risque de pathologie liée à tout type d’isolation
- Non-conformité aux servitudes / dispositions législatives relatives au droit des sols et de propriété, ainsi qu’à l’aspect des façades et à leur implantation
- Contradiction avec les prescriptions prévues pour les sites patrimoniaux remarquables (SPR), les abords des monuments historiques, les sites inscrits et classés ou avec les règles et prescriptions définies en application des articles L. 151-18 et L. 151-19 du code de l’urbanisme.
- Disproportion manifeste entre les avantages de l’isolation et ses inconvénients de nature technique, économique ou architecturale, les améliorations apportées par cette isolation ayant un impact négatif trop important en termes de qualité de l’usage et de l’exploitation du bâtiment, de modification de l’aspect extérieur du bâtiment au regard de sa qualité architecturale, ou de surcoût. Cette disproportion est prévue dans les cas suivants :
- une isolation par l’extérieur dégradant significativement la qualité architecturale.
- un temps de retour sur investissement du surcoût induit par l’ajout d’une isolation qui serait supérieur à dix ans, déduction faite des aides financières publiques. On notera que l’évaluation du temps de retour sur investissement s’appuiera sur une méthode de calcul qui sera référencée dans un guide spécifique.
L’investissement, selon l’Observatoire de l’Industrie électrique, est le plus rentable dans la production d’eau chaude sanitaire thermique (ECS) ou la rénovation thermique des combles. Contrairement aux idées reçues, un changement de fenêtre est coûteux et réduit peu les consommations de chauffage tandis que l’isolation des combles est particulièrement rentable et permet de réduire les émissions de GES à faible coût. Quant à la rénovation lourde d’un bâtiment par l’isolation des murs extérieurs, la rentabilité est beaucoup plus faible.
Un exemple de rénovation énergétique
La rénovation énergétique d’un bâtiment de Fernand Pouillon a suscité en octobre 2015 les protestations de nombreux architectes et historiens. La résidence « La Montagnette » à Avignon, un immeuble de logements sociaux datant des années 1950, était l’objet d’une campagne des travaux de rénovation énergétique par la mise en œuvre d’une isolation thermique par l’extérieur (ITE), subventionnée par l’État et la région. Les modénatures et les matériaux d’origine – pierre et béton – sont désormais couverts d’une couche d’isolation thermique.
Malheureusement, si tous les paramètres techniques font l’objet d’une description soignée, la prise en compte du paramètre architectural et patrimonial, qui devrait être au cœur de la réflexion, fait cruellement défaut dans cet exemple de la rénovation énergétique des grands ensembles des trente glorieuses.
Conclusion et perspectives
Les bâtiments anciens semblent inaptes à la rénovation énergétique exprimée par les différentes réglementations thermiques. La dichotomie entre la volonté écologique/économique et la thématique patrimoniale des bâtiments existants constitue un paradoxe difficile à résoudre.
Cette controverse est notamment nourrie par la problématique de l’énergie grise non comptabilisée dans le DPE, ce qui entraîne un manque de durabilité des solutions techniques proposées et finalement une réelle augmentation d’émission de GES. La nécessité d’une réglementation thermique cohérente est évidente pour permettre l’adaptation du patrimoine bâti à la transition énergétique.
La loi TEPCV a créé des plateformes d’information de rénovation énergétique à vocation de guichet unique. Ces plateformes ont la capacité de réunir tous les acteurs de la rénovation énergétique dans la recherche de solutions techniques contre le réchauffement climatique. Cet outil multidisciplinaire pourrait constituer un atout culturel majeur, qui relie à la fois notre passé avec notre avenir. Armé d’une conscience à la fois écologique et culturelle, l’adaptation de nos gestes aux prérogatives du réchauffement climatique pourrait être portée par un accord collégial interservices, qui réconcilie les activités humaines avec la protection de notre cadre de vie.
Bibliographie :
• Jean-Pierre Oliva, Samuel Courgey, L’isolation thermique écologique, Conception – Matériaux – Mise en œuvre.
Neuf et réhabilitation, 2010
• Fiches ATHEBA
Maisons Paysannes de France, juin 2010
• Modélisation du comportement thermique du bâtiment ancien avant 1948, BATAN ‐ Note de synthèse, Rapport de Synthèse
CETE de l’Est, février 2011
• De l’efficacité énergétique à l’efficacité climatique. Note de conjoncture.
Observatoire de l’industrie électrique, novembre 2015
• Jean-Paul Cassulo, Fernand, la pierre et la RGE : Dommage collatéral ou processus historique ?
Dans : La lettre du conseil régional de l’ordre des architectes. Provence-Alpes-Côte d’Azur. - octobre 2015
• Habitat ancien en Alsace, Amélioration énergétique et préservation du patrimoine, Enjeux – méthode – résultats.
CEREMA Alsace, novembre 2015
• Envirobat – Bâtiment durable méditerranéen